Barcelone

« Lorsque vous regardez, ne pensez jamais à ce que la peinture (ou n’importe quoi de ce monde) doit être, ou à ce que beaucoup de gens voudraient qu’elle soit seulement. La peinture peut tout être. »
— Antoni Tàpies

Sous le ciel d’un bleu presque irréel, ce genre de bleu qui semble avoir été peint par un rêveur distrait, Barcelone s’étirait devant nous comme un vieux livre dont chaque ruelle serait une page couverte d’encre et de souvenirs. Main dans la main avec celle qui faisait battre le cœur de mes jours, nous marchions dans la lumière dorée d’un week-end que le destin semblait avoir suspendu au-dessus du temps, comme une promesse murmurée à l’oreille des anges.

J’avais mon appareil photo — mon œil secret, mon filet à attraper les instants avant qu’ils ne se dissolvent dans l’oubli. Chaque cliché volé à l’éphémère devenait un talisman, un éclat de vérité préservé contre les morsures du silence. Les rues, avec leurs sinuosités d’un autre âge, nous guidaient vers l’ombre mouvante de Gaudí. Ses maisons, pareilles à des chimères minérales, respiraient encore les rêves de leur créateur. Chaque courbe semblait née d’un souffle, chaque pierre soupirait un mystère.

La Sagrada Família s’élevait là, pareille à un vœu inachevé. Ses flèches griffaient le ciel comme si elles tentaient de lui arracher un secret. Elle était à la fois cathédrale et mirage, silence pétrifié et cri d’éternité.

Plus loin, le musée Antoni Tàpies ouvrait ses portes comme un livre qu’on aurait oublié de refermer. Là, l’art contemporain chuchotait avec l’Histoire, et l’on croyait parfois surprendre une conversation entre les siècles. À la Boqueria, les fruits criaient leur couleur sous les verrières, et les parfums se mêlaient dans l’air comme des souvenirs d’enfance revenus sans prévenir.

Nous avons gravi les collines jusqu’au Sagrat Cor, cette église qui veille sur la ville comme un gardien oublié des légendes anciennes. Le panorama, vaste et palpitant, s’ouvrait devant nous comme un théâtre d’ombres et de lumières. Là-haut, le parc du Tibidabo, avec ses manèges usés, semblait appartenir à une époque figée, suspendue entre l’innocence et le rêve. Les rires des enfants y flottaient comme des échos venus d’un autre monde.

Enfin, le MACBA nous accueillit à l’ombre de ses lignes nettes et de son marbre blanc, où la lumière découpait les formes comme une lame douce. Sur le parvis, les skateurs — ces poètes de bitume — dansaient leur ballet effervescent, défiant la gravité avec une grâce irrévérencieuse. Leurs figures éphémères écrivaient sur l’air un langage que seuls les cœurs jeunes savent encore lire.

Barcelone, dans toute sa splendeur, nous avait offert bien plus qu’un voyage. Elle nous avait révélé un fragment d’âme, un souffle d’éternité. Et tandis que mon appareil dormait, repu d’images, je savais que le plus précieux de tout cela, ce n’était pas ce que nous avions vu, mais ce que nous avions senti battre, doucement, au creux du silence partagé.

 
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